Une fresque de l'humanité. Jean-Gabriel Périot, Undo (2005)

 

La fresque est ici un portrait de l'humanité entière, de sa diversité, incorporant une dimension cosmologique.

Ce film donne l'image de l'infinie variété de l'espèce humaine sous la forme d'un hymne à la communauté dans son sens le plus large, et s'ouvre jusqu'à l'infini sidéral avec des plans initiaux de big-bang et ceux, terminaux, de planètes qui explosent.

Undo est un film de found-footage, de recyclage d'archives, d'actualités, de films documentaires, de films de fiction, qui traversent les époques de l'histoire de la vidéo et du cinéma. La régression formelle se double d'une régression technologique; les images récentes sont plutôt des images de vidéo couleur, de cinéma couleur, puis peu à peu, on passe à des images de films plus anciens, en noir et blanc.

Aux images cosmiques originelles succèdent celles de volcans, de tempêtes, d'avalanches, d'explosions atomiques, de villes détruites (dont Beyrouth est l'un des symboles contemporains), d'ambulances dont sortent des blessés, du World Trade Center et des avions qui en ressortent, de foules, de consommateurs dans des supermarchés, de cafeterias, l'action de manger devenant celle d'une régurgitation, d'industries où l'on dé-fabrique des chaussettes ou des voitures, des tanks, des boîtes de sardines (les sardines sortant de la chaîne pour se retrouver enfin à l'air libre), d'abattoirs où les bœufs et les cochons ressuscitent et retournent dans les prés, de paysans, d'ouvriers, de maçons, de fleuves, d'ablutions au bord de l'eau, de femmes portant des cruches sur la tête, jusqu'à ces plans de films des premiers temps, avec cet homme nu qui marche à l'envers dans un paradis originel, cette lune et ces nuages... Ce portrait des siècles, depuis l'époque contemporaine jusqu'à l'origine des temps, est brossé avec emphase. On y retrouve aussi certaines formes d'inversions typiques de l'histoire du cinéma (comme celle des bœufs qui ressuscitent, reprise ailleurs par Vertov ou Spoerri).

Ce petit film est dans la droite ligne du mythe du Politique: les actions humaines et terrestres apparaissent sous une forme idéalisée car toute violence est résorbée, réparée dans son inversion hypostasiée. Or ce que le mythe de Platon avançait, c'est bien que le monde premier et originel est paradisiaque.

Roland Barthes avait extrait de l'exposition photographique Family of Man de 1955 à New York la conception naturaliste de l'humanité qu'elle sous-tend: «Ce mythe de la "condition" humaine repose sur une très vieille mystification, qui consiste toujours à placer la Nature au fond de l'Histoire». On pourrait penser que Undo participe de cette vision morale et sentimentale. Or, ici, l'inversion temporelle est précisément le grain de sable qui démonte les clichés, qui subvertit chacun de ces moments de l'histoire de l'humanité pour les soustraire à notre fascination. Undo participe plutôt de l'humanisme progressiste, celui qui «au contraire, doit toujours penser à inverser les termes de cette très vieille imposture, à décaper sans cesse la nature, ses "lois" et ses "limites" pour y découvrir l'Histoire et poser enfin la Nature comme elle-même historique».

Un monde esthétisé, déshumanisé, dépolitisé, voire postpolitique, semble se déployer sous nos yeux, mais l'inversion temporelle en fait l'image de la décroissance comme contre-proposition à la surenchère consumériste capitaliste.

L’imaginaire de cette immense régression critique de l'histoire domine, en aliénant la perception. C'est un geste simple et fort. Psychanalytiquement, il a aussi une vertu: il touche ce fantasme qui consiste à voir ce qu'il y avait avant nous, l'origine de l'humanité; et derrière ce fantasme, il y a le désir de voir la copulation parentale dont nous sommes issus.

 

Paul-Emmanuel Odin
L’inversion temporel au cinéma 2014